Sportifs de haut niveau : et si la gestion du stress passait par une simple montre connectée ?
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Mis à jour le 10/06/2025
Fréquence cardiaque à l’effort et au repos, dépense calorique, analyse du sommeil… Les indications fournies aux sportifs par les smartphones ou les montres connectées sont diverses et variées. Mais au-delà du constat d’une augmentation du rythme cardiaque ou d’une mauvaise nuit, peuvent-elles réellement aider à améliorer la santé des athlètes ? C’est ce qu’espère Taous-Meriem Laleg, responsable de l’équipe-projet Boost (Bio-informed mOnitoring & Optimization for enhanced Sport & healTh) du centre Inria de Saclay.
Les objets connectés nous fournissent de nombreuses données, mais nous ne savons pas les interpréter efficacement, explique la chercheuse. Soit parce qu’elles ne sont pas pertinentes, soit parce qu’il faut leur appliquer un traitement de signal qui permette d’en extraire un indicateur utile.
Par exemple, les montres utilisent la photopléthysmographie (PPG), une technique qui mesure les variations de volume sanguin pour suivre la fréquence cardiaque. « Mais ces signaux pourraient-ils être aussi associés à la pression artérielle ou au niveau de stress ?, s’interroge la scientifique. Et si nous les combinons à d’autres données grâce à l’intelligence artificielle, pouvons-nous en tirer des informations encore plus pertinentes ? »
Ces questions, Taous-Meriem Laleg a commencé à les explorer fin 2021, lorsqu’Inria lui a proposé de monter une équipe-projet. La chercheuse s’est alors tournée vers ses collègues du laboratoire Ciams (Complexité, Innovation et Activités Motrices et Sportives) de l’université Paris-Saclay, avec lesquels elle avait déjà travaillé : « J’avais précédemment appliqué les outils de traitement du signal et de modélisation au système cardiovasculaire, eux étudient les aspects neurosciences, perception, physiologie ou encore assistance au mouvement… Et nous avons décidé de combiner toutes ces expertises au service de la santé des sportifs. » Ensemble, ils passent les années qui suivent à définir les contours de leur future collaboration, mettent sur pied le partenariat entre Inria et l’université Paris-Saclay, lancent une première thèse commune… Et finalement, Boost est officiellement créée en janvier 2025.
Objectif affiché de l’équipe : identifier des signaux facilement accessibles, notamment aux objets connectés (tels la PPG) et mettre au point des algorithmes capables de les interpréter pour en extraire des informations utiles à l’évaluation de la santé des athlètes professionnels.
Dans une approche profondément interdisciplinaire, l’équipe-projet rassemble six chercheurs permanents (et une douzaine de stagiaires, doctorants et postdoctorants) : Taous-Meriem Laleg, chercheuse spécialiste de l’automatique, du traitement du signal et de la modélisation mathématique ; François Cottin, professeur en physiologie ; Bastien Beret, chercheur en modélisation et contrôle de l’assistance au mouvement ; Arnaud Boutin, neuroscientifique ; Michel-Ange Amorim, spécialiste notamment de la perception et de la représentation spatiale ; Ioannis Bargiotas, chercheur en intelligence artificielle.
Les scientifiques ont décidé de se concentrer en premier lieu sur la santé mentale, via l’estimation du stress. Chez les sportifs de haut niveau, celui-ci est un enjeu majeur car il peut nuire à leurs performances. En effet, une étude menée par la Fondation FondaMental en 2024 révèle que 24% d’entre eux souffrent de troubles anxieux et 44% de troubles du sommeil.
Aujourd’hui, les athlètes tentent déjà d’évaluer leur stress, notamment via des questionnaires, mais ceux-ci ne reflètent que le stress perçu. Si nous pouvions développer des outils quantifiant le stress, l’approche serait complémentaire et bénéfique.
Première étape ? Établir un protocole pour collecter des données de santé dans des conditions de stress variées. Trois expériences ont été mises au point : la première implique 14 minutes de vélo d’appartement ; la deuxième consiste à plonger sa main dans l’eau glacée pendant 3 minutes, et la troisième, dénommée « Sing a Song Stress Test », demande soudainement au participant de chanter à voix haute. « Nous savons que chacune de ces situations va occasionner un stress, physique ou mental, détaille la responsable de l’équipe. Nous allons donc nous appliquer à enregistrer la traduction de ce stress dans les signaux de l’électroencéphalogramme (EEG), de l’électrocardiogramme (ECG), ainsi que dans les variations de la pression artérielle et de la PPG. Puis nous allons développer un modèle mathématique qui mette en relation ces données afin de comprendre les interactions entre ces différents signaux et d’identifier des indicateurs fiables de stress. »
D’ores et déjà, l’équipe a obtenu un premier résultat ayant fait l’objet d’une publication : s’appuyant sur une base de données existante, elle a révélé que la combinaison des signaux EEG et ECG permet bien d’établir la présence ou l’absence de stress. Des observations que les chercheurs entendent affiner et nuancer pour évaluer précisément les degrés de stress physiologique. Dans cette optique, l’équipe a entamé des discussions avec l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance) afin de pouvoir étendre ses expériences (pour le moment réalisées auprès de stagiaires du Ciams) aux sportifs de haut niveau.
À terme, les algorithmes mis au point grâce à ces recherches pourraient être intégrés dans des bagues capables d’effectuer des tests PPG et donc compatibles avec la pratique sportive. La routine et le programme d’entraînement pourraient alors être adaptés en fonction du niveau de stress ainsi mesuré, afin de préserver les performances sportives et la santé mentale de l’athlète.
À plus longue échéance, les chercheurs souhaitent justement travailler sur la qualité du biofeedback : comment présenter les informations générées à l’utilisateur ? Quelles actions lui suggérer pour prendre soin de sa santé et ses performances ? L’équipe compte également faire bénéficier la santé physique des sportifs du même type de recherches, pour prévenir par exemple la fatigue et les blessures en se basant sur d’autres indicateurs, eux aussi facilement accessibles, tels la variabilité de la fréquence cardiaque, la PPG, l’accéléromètre...
En parallèle, d’autres projets sont menés par Boost dans divers domaines médicaux. L’un, en partenariat avec l’AP-HP, cherche à repérer les plaques carotidiennes à risque à partir d’imagerie des carotides, particulièrement pour les patients asymptomatiques. Objectif : fournir une aide à la décision au chirurgien sur la pertinence d’une opération. Un autre s’intéresse à l’estimation de la rigidité artérielle. « Il est établi qu’il s’agit d’un facteur de risque de maladies cardiovasculaires, mais il n’existe pas aujourd’hui de moyen fiable, non-invasif et facile d’utilisation pour l’évaluer, expose Taous-Meriem Laleg. Là encore, les tests de PPG pourraient-ils nous aider ? » Enfin, un troisième projet se consacre à la modélisation et au contrôle de la co-contraction musculaire, pour faciliter l’assistance au mouvement par des exosquelettes.
La force de l’équipe pour relever chacun de ces défis ? « Nous développons nos propres outils de traitement du signal et nos propres modèles mathématiques, particulièrement adaptés aux données biomédicales », répond la responsable d’équipe. Une méthode qui porte ses fruits.